Trois pour un trône
Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel : les deux vainqueurs des quatre derniers Tours et le double champion olympique semblent être les seuls candidats crédibles au maillot jaune. Avec un net avantage, a priori, pour le Slovène.
Pogacar, au-delà du réel
Qui peut arrêter Tadej Pogacar ? La question est sur toutes les lèvres au Grand Départ de Lille. Vainqueur surprise du Tour en 2020, le Slovène avait confirmé avec la manière en 2021, avant de se casser les dents sur l’envolée de Jonas Vingegaard les deux saisons suivantes, terminant chaque fois deuxième mais à bonne distance du Danois, des défaites sans discussion possible. Il y a tout juste un an, le voir remporter son troisième Tour n’avait donc rien d’évident, d’autant qu’il venait de s’imposer sur le Tour d’Italie, en mai, et que personne, au XXIe siècle, n’avait jamais réussi à remporter ces deux grands Tours à deux mois d’intervalle. Mais impossible n’est apparemment pas slovène : face à un Vingegaard tout juste remis d’une grave chute, il avait ultra-dominé l’épreuve, remportant six étapes (dont les trois dernières !) et écœurant toute adversité jusqu’à Nice.
Alors, qui donc peut arrêter Pogacar ? En réalité, cela fait des mois que le peloton se pose la question dans toutes les langues, sans qu’aucune n’ait encore inventé le mot pour y répondre. Son début de saison 2025 est insensé : victoires sur Liège-Bastogne-Liège, le Tour des Flandres, la Flèche wallonne, les Strade bianche ; deuxième de son premier Paris-Roubaix, troisième de Milan-San Remo… Trop fort quand ça grimpe, trop fort quand ça descend, intouchable contre la montre, à l’aise quand il fait chaud, chaud quand il fait froid, souriant, malin, culotté et même bon perdant – quand ça lui arrive. Tadej Pogacar a tout pour lui, même l’avenir, puisqu’il n’a encore que 26 ans et donc tout le temps.
Un âge qui peut lui permettre de rêver très grand, à commencer par rejoindre le club fermé des quintuples vainqueurs du Tour, voire les dépasser. Eddy Merckx, Bernard Hinault et les autres n’ont pas attendu qu’il y parvienne pour l’adouber, mais ils savent aussi que toute domination a ses fragilités, et renforce la détermination des adversaires à la renverser. Et, à Lille, ils sont au moins deux à rêver pareil destin.
Vingegaard veut remonter le temps
Il y a exactement trois ans, la planète cyclisme se posait la même question qu’aujourd’hui, et Jonas Vingegaard était la réponse. Deuxième surprise du Tour en 2021, le Danois ramenait son premier maillot jaune sur les Champs-Élysées l’année suivante avec autorité, écœurant notamment Pogacar dans les Alpes, sur la route du col du Granon. Vainqueur encore plus impressionnant l’année suivante, le coureur de la Visma connaissait ensuite un coup d’arrêt spectaculaire sur le Tour du Pays basque, l’an dernier. Une très mauvaise chute, dans une descente, était toute proche de mettre un terme prématuré à sa carrière et dans ces conditions, sa deuxième place sur le Tour l’été dernier, même à bonne distance de Pogacar, relevait déjà de l’exploit.
Un an plus tard, Vingegaard est-il plus avancé ? Pas sûr. Le Danois s’est peu montré, et a été victime d’une nouvelle chute, moins grave mais notable, sur Paris-Nice, en mars dernier. Discret, voire cachottier, il peut tout aussi bien avoir très bien préparé son affaire dans son coin que tenter désespérément de masquer une forme pas à la hauteur de ses espérances. Pour se convaincre qu’il est capable de renouer avec le fil de son destin, le coureur de la Visma a un argument massue : il est le seul, ces cinq dernières années, à avoir martyrisé Pogacar en haute montagne, et rien n’interdit de penser qu’il en est encore capable, à seulement 28 ans. Mais un souvenir, même marquant, peut-il vraiment suffire ?
Evenepoel, un destin à écrire
Que faut-il retenir de la troisième place de Remco Evenepoel sur le Tour de France 2024 ? Pour le grand public, une première sur l’épreuve réussie, marquée notamment par une victoire sur le chrono dans les vignobles bourguignons. Pour le principal intéressé, la frustration majuscule de n’avoir pas pu rivaliser une seconde avec Pogacar et Vingegaard, suivis d’assez loin sur le podium final. Le Belge se passait d’ailleurs les nerfs, une quinzaine de jours plus tard, en signant un retentissant doublé doré (course en ligne et épreuve contre-la-montre) aux JO de Paris 2024.
De retour sur le Tour de France, un an plus tard, Evenepoel veut faire mieux, forcément. À 25 ans, l’ambition le dévore et gagner la Grande Boucle est tout en haut de la liste de ses priorités. Un rêve qui se heurte pour l’heure au mur de la réalité : jamais le Belge n’a inquiété ni Pogacar, ni Vingegaard en confrontation directe, hors contre-la-montre. Certes, le parcours de cette édition 2025 propose deux étapes chronométrées qui devraient être à l’avantage du Belge, mais leur kilométrage semble trop faible pour espérer que l’écart qu’il y creusera sera suffisant en haute montagne. Pas de quoi entamer sa confiance en lui et sa détermination. La route jugera.
Le bal des outsiders… et des lieutenants
La course au maillot jaune se résumera-t-elle à ces trois ogres ? Il y a bien d’autres prétendants, certes, mais tous partent d’un peu plus loin sur la ligne de départ. D’autant que nombre d’entre eux sont… des coéquipiers de Pogacar ou de Vingegaard. C’est le cas, chez UAE, de João Almeida et de Juan Ayuso, respectivement vainqueurs du Tour du Pays basque et de Tirreno-Adriatico au printemps. Tous deux parmi les meilleurs coureurs de courses par étapes du peloton, ils sont là pour servir les desseins du Slovène, quitte à aller jusqu’à l’accompagner sur le podium final, comme l’avait fait Adam Yates il y a deux ans. Même logique chez Visma pour Matteo Jorgenson, vainqueur lui de Paris-Nice cette saison. L’ Américain, huitième du Tour l’an passé, devra se mettre au service de Vingegaard.
Primoz Roglic, lui, n’a pas ce genre de problème : il est le leader désigné de la Bora. Mais le Slovène a 35 ans, et son rêve de gagner le Tour de France un jour semble désormais inatteignable, d’autant qu’il a le Giro dans les pattes au départ de Lille. Quatrième du Tour en 2021, Ben O’Connor a depuis connu des hauts et des bas, mais sa deuxième place sur la Vuelta l’an dernier a confirmé ses talents sur les grands Tours. À moins que le trouble-fête du trio de favoris soit un compatriote de Vingegaard ? À 25 ans, Mattias Skjelmose franchit les étapes une à une, comme lorsqu’il a remporté l’Amstel Gold Race en avril dernier devant Pogacar et Van der Poel, rien que ça. Cinquième du dernier Tour d’Espagne, il a tout pour se mêler à la lutte pour le podium final… au moins.
Martinez, nouveau porte-drapeau français ?
Depuis la quatrième place de David Gaudu en 2022, qui n’a pas confirmé depuis, le cyclisme français peine à peser sur la lutte pour le classement général du Tour. Un creux qui dure et que les retraites récentes de Thibaut Pinot puis Romain Bardet ont rendu criant. La relève est-elle prête ? Au moins en partie : à 22 ans à peine (il les fêtera en plein Tour), Lenny Martinez a rejoint cet hiver les rangs de la Bahrain-Victorious et aussitôt brillé, terminant notamment deuxième du Tour de Romandie et quatrième de la Flèche wallonne. Inexpérimenté sur les grands Tours, il visera d’abord prudemment le top 10, mais pourrait rapidement regarder plus haut. Pour les autres coureurs du contingent tricolore, on pensera surtout aux victoires d’étapes, même si les deux coureurs de la Groupama-FDJ, David Gaudu et Guillaume Martin-Guyonnet, ont déjà terminé tous deux dans le top 10 de la Grande Boucle.