Les 80 ans de notre Sécu
Quatre-vingts ans. Une vieille dame. Pourtant la Sécu n’a jamais été aussi moderne qu’aujourd’hui, dans un monde qui nous l’envie. En France, elle est un amortisseur de toutes les crises.
Pour les Français, sans le savoir ou le percevoir, elle est présente dans nos vies quotidiennes. Qui pense encore à la « Sécu » en sortant de chez le médecin ? Qui n’a pas pratiqué le tiers payant, sans avoir eu besoin de sortir un seul euro, après avoir mis dans le lecteur sa carte Vitale plutôt que sa carte bancaire ? Qui se demande, en sortant de la pharmacie, à combien se monte sa facture de médicaments ? La Sécu est bien là, pourtant invisible, dans notre quotidien. Maladie, famille, retraite, accidents du travail et maladies professionnelles, mais aussi autonomie, la Sécu est avec nous dans toutes les étapes de notre vie et nous l’utilisons selon nos besoins après y avoir contribué selon nos moyens.
L’autre branche de la Sécurité sociale c’est l’URSSAF, qui se charge de collecter les cotisations qui financent notre système. Mais aujourd’hui, cette cotisation finance à peine la moitié de notre Sécu. Cette inversion a dévoyé le système originel car c’est l’impôt qui vient maintenant compléter ce financement. Or la spécificité de la cotisation c’est qu’elle ouvre des droits, contrairement à l’impôt qui est soumis aux choix politiques. Nous le vivons en ce moment particulièrement quand se fait jour le débat entre financer une économie de guerre ou affecter l’argent au social. La conséquence pour les assurés, c’est la double voire la triple peine. D’une part nous cotisons, d’autre part nous compensons, avec nos impôts, les quatre-vingts milliards d’exonérations de cotisations patronales et, en plus, nous subissons les économies imposées à la Sécu (baisses de remboursements, franchises médicales ou diminutions d’indemnités journalières).
C’est pour cela que Force Ouvrière défend le modèle initial de la Sécurité sociale comme un vrai choix de société. La cotisation ouvre des droits, constitue le paritarisme et fonde notre salaire différé. Quand Georges Buisson présente, le 31 juillet 1945, son rapport pour la création de la Sécurité sociale devant l’Assemblée consultative provisoire, il parle d’une redistribution du revenu national, destinée à prélever sur le revenu des individus favorisés les sommes nécessaires pour compléter les ressources des travailleurs ou des familles défavorisées. Il posait ainsi les jalons du précepte chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.
C’est à cette vieille dame si moderne, pilier de notre République sociale, intimement liée à notre organisation, que FO rend hommage. C’est tous les jours, de chaque année, que notre organisation milite pour la Sécurité sociale, que ce soit au niveau confédéral, mais aussi dans les régions et les départements, notamment avec les militants FO qui siègent comme administrateurs et conseillers dans toutes les caisses de Sécu.
Nous sommes un grand réseau Force Ouvrière au service et pour la défense de la Sécurité sociale. Nous sommes la Sécu !
Les premières sociétés ouvrières de secours mutuel, ancêtres de la Sécu
Dès l’origine, les organisations ouvrières se sont battues pour que les travailleurs puissent gagner leur vie sans la perdre. Un combat fondamental.
La santé au travail avant la Sécu
Dès l’Antiquité, le pharaon demande à ses médecins de s’occuper des ouvriers qui bâtissent les pyramides. Mais c’est Hippocrate (en 460 avant J.-C.) qui a été le premier à noter les maladies professionnelles chez les travailleurs du plomb. Il faudra attendre le XVe siècle pour redécouvrir ce problème. Pourtant déjà au XIIIe siècle, Arnaud de Villeneuve avait publié un traité de médecine du travail en deux volumes. Mais ce n’est qu’au XVIIIe que l’on découvre les cancers dus à l’activité professionnelle (charbon, plomb). En 1810, Napoléon crée les premiers médecins du travail, mais uniquement pour les mineurs. En 1840, le docteur Villermé publie un rapport sur « L’état physique des ouvriers du textile ». En 1874, l’inspection du travail est fondée. Il s’agit surtout de contrôler le travail et la santé des enfants. Ce n’est pas de la philanthropie. L’État a besoin de jeunes hommes en bonne santé pour en faire des conscrits solides pour ses armées !
D’abord la solidarité
La solidarité existait déjà au sein des corporations d’artisans au Moyen Âge. À Perpignan, les ouvriers cordonniers ont fondé leur société de secours dès 1326. Avec 1789, les premières sociétés de secours mutuel modernes voient le jour. En 1790 est fondée la Société typographique parisienne, avec des statuts très précis sur les prestations à verser en cas de maladie et de vieillesse. Mais la loi Le Chapelier de juin 1791 va stopper leur essor. Le mouvement reprend sous l’Empire. Une Société de bienfaisance et des secours mutuels est créée à Lyon en 1804, puis, quatre ans plus tard, naît celle des chapeliers parisiens. En 1814, il existe cent quatre-vingts sociétés de secours dans toute la France. En 1820, les garçons bouchers de la capitale fondent leur caisse. Ces sociétés ressentent le besoin de s’unir, d’où l’apparition du Conseil des sociétés de secours mutuel des Bouches-du-Rhône en 1821. Les canuts lyonnais ont la leur dix ans plus tard. En 1847 il en existe mille deux cent quatre-vingt-quinze dans tout le pays. Le 15 juillet 1850, la Deuxième République vote une loi donnant un statut légal à ces sociétés de secours, reconnues d’utilité publique. Enfin, le 28 septembre 1902, la Fédération nationale de la Mutualité française voit le jour. En 1901, les sociétés de secours mutuel protègent 2,6 millions d’adhérents. Ils seront 4,5 millions en 1914 et 8 millions en 1938.
L’arrivée des syndicats
Avec l’organisation du mouvement ouvrier, les jeunes syndicats ne se battent pas uniquement pour l’augmentation des salaires ou la baisse du temps de travail, mais aussi pour de meilleures conditions de travail pour préserver l’essentiel : la vie. Dès 1898, la jeune CGT impose une loi sur les accidents de travail et leurs réparations forfaitaires. En 1906 est créée à Milan la Commission permanente internationale de médecine du travail. Entre 1923 et 1930, René Barthe organise la médecine du travail, associant le corps médical, les ingénieurs et l’assistance sociale. C’est ainsi que va naître le contrôle médical obligatoire dans les mines et la métallurgie dès 1934.
La création de la Sécurité sociale
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le patronat est déconsidéré en raison de sa collaboration avec l’ennemi nazi, tandis que la classe ouvrière est grandie par sa lutte dans la Résistance, dont le Conseil national de la Résistance a inscrit à son programme un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail
.
C’est dans ce contexte que le 19 octobre 1945, le gouvernement provisoire de la République française institue officiellement, par ordonnance, la Sécurité sociale.
Deux ans avant la naissance officielle de Force Ouvrière, des camarades, déjà réunis au sein du journal Résistance Ouvrière, posaient les jalons de notre Sécurité sociale. Dès sa création, FO a toujours été en pointe dans la consolidation et la défense de la Sécurité sociale, une Sécu désormais attaquée de toutes parts, comme elle le fut aussi à sa création.
Dès le 26 juillet 1945, Résistance Ouvrière, l’ancêtre de notre journal, annonçait le rapport sur la Sécurité sociale dont était chargé Georges Buisson (1878-1946), précisant que les ambitions du syndicaliste étaient déjà attaquées par l’Assemblée consultative : Le gouvernement, cédant à la pression conjuguée des caisses patronales de compensation et des associations familiales, a accepté de différer l’intégration des allocations familiales dans l’ensemble de la Sécurité sociale
. Ceux qui allaient fonder quelques mois plus tard la CGT-FO se battaient déjà pour le principe de la caisse unique, regroupant l’Assurance maladie, l’Assurance vieillesse et les allocations familiales, c’est-à-dire une solidarité par construction entre les générations.
D ès 1943 donc, Georges Buisson, spécialiste des assurances sociales dans la CGT d’avant-guerre, rédige un programme précis de sécurité sociale. Ces idées seront en grande partie reprises dans le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) au printemps 1944. À l’automne de la même année, une délégation de la CGT rencontre de Gaulle, alors président du Gouvernement provisoire, pour le convaincre des bienfaits du « rapport Buisson ». C’est ainsi, entre autres, que lorsque les discussions commencent à l’Assemblée en juin 1945, le fait est acquis : la Sécurité sociale verra bien le jour. Les salariés, leurs familles et le mouvement syndical viennent de remporter une victoire considérable, bien plus étendue que les assurances sociales préexistantes.
La Sécurité sociale est née, symbole et outil de solidarité et d’égalité, avec une gouvernance singulière – le paritarisme – que défend FO, et assise sur les cotisations sociales prélevées sur les salaires et non, comme d’autres systèmes, sur l’impôt. Son principe est de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins
, pour permettre à chacun de pouvoir faire face aux aléas de la vie, à chacun d’avoir une autonomie et une liberté plus grandes, assurer une égalité de droits. Dans l’esprit du programme du CNR, la loi du 11 octobre 1946 impose aux employeurs la création et le financement des services médicaux dans l’entreprise ou dans le cadre de services interentreprises de santé au travail.
Une extension continue aura lieu jusqu’aux années 1980, permettant notamment la construction des Centres hospitaliers universitaires (CHU).
En 1982, sont créés les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), demandés par les syndicats depuis longtemps. Les ordonnances Macron de 2018 fusionneront les CHSCT avec les comités d’entreprise et les délégués du personnel. Un vrai coup dur pour l’ensemble des travailleurs et pour leur santé.
Georges Buisson
En 1920, ce syndicaliste devient, jusqu’en 1929, le septième secrétaire général de la Fédération des employés CGT. Il est appelé en 1929 au Bureau confédéral par Léon Jouhaux, fondateur de Force Ouvrière, dont il devient l’un des proches collaborateurs. Buisson devient un spécialiste des problèmes d’assurances sociales. Il est une des figures notables du syndicalisme du Front populaire en 1936 et de la Libération. Entré en Résistance dès 1940, Buisson a rejoint Londres, en avril 1943, pour se mettre au service de la France libre. Il constitue un trait d’union entre la CGT clandestine et le comité de Londres. Membre de l’Assemblée consultative provisoire à Alger puis à Paris, il en est vice-président. Avec le projet d’ordonnance du 24 juillet 1945 auquel il participe, repris par la suite dans l’ordonnance officielle du 4 octobre 1945, il peut être considéré parmi les « pères fondateurs » de la Sécurité sociale. Il décède en 1946.
Une Sécu toujours à défendre
Déjà dans le numéro du 26 juillet 1945, le journal Résistance Ouvrière (ancêtre de L’inFO militante) mettait en garde ses lecteurs contre les attaques visant le rapport Buisson, en provenance des caisses patronales de compensation et des associations familiales chrétiennes.
Finalement, les ordonnances d’octobre 1945 reconnaissent le droit des salariés à gérer leurs propres cotisations. Cela va changer du jour au lendemain la vie de millions de travailleurs avec enfin la couverture du risque maladie, du risque vieillesse et des allocations familiales. Pour la première fois, le suivi de la femme enceinte et du nourrisson sera couvert par des prestations médicales, ce qui va pratiquement éradiquer la mortalité infantile en France. Une Sécu qui, dès ses débuts, doit se protéger des attaques venues de toutes parts.
L’hostilité est grande de certains, qui vont tenter de vider de leur contenu ces ordonnances. Ainsi, Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail, qui fait passer des deux tiers à la moitié la proportion des représentants salariés dans les conseils d’administration des CAF. En 1967, nouvelle attaque avec la suppression de l’élection des administrateurs de la Sécu, la divisant en plusieurs « branches », mettant fin à son unicité. À partir des années 1990, l’étatisation de la Sécurité sociale commence avec la création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991 et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) en 1996.
Les recettes de la Sécu représentent, en 2024, 644 milliards d’euros, soit 23% du PIB. Celles de l’État 250 milliards, soit 2,5 fois moins. On comprend mieux l’appétit féroce des gouvernements successifs à vouloir s’accaparer le pactole, au profit d’un système privatisé. L’impôt remplaçant la cotisation, l’étatisation rimant avec économies (déremboursement, diminution des rembour-sements de médicaments et des consultations, moins de budget pour les hôpitaux, etc.), loin du pacte social français né du programme du Conseil national de la Résistance.
La Sécu, un fonctionnement paritaire
Né après la Seconde Guerre mondiale, le paritarisme de gestion est au cœur de la démocratie sociale. En gérant paritairement plusieurs pans de la protection sociale, syndicats et patronat affirment leur responsabilité, leur liberté et leur autonomie par rapport à l’État.
La Sécu est financée par les cotisations des salariés et des employeurs, à la différence du modèle anglais où le financement repose essentiellement sur l’impôt payé par tous les contribuables, ou du système américain reposant sur des assurances privées.
Le budget de la Sécu est défini annuellement dans la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), votée chaque année par le Parlement.
Le régime général est le principal régime puisqu’il couvre plus de 61 millions de personnes, défini en cinq branches : la branche maladie (maladie, maternité, invalidité, décès), la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP), la branche vieillesse et veuvage (retraite), la branche famille (dont handicap et logement), la branche autonomie.
Le paritarisme au cœur de notre modèle social
Le principe est simple : les représentants des travailleurs et du patronat gèrent les fonds issus des cotisations salariales et patronales de plusieurs caisses. Le paritarisme est le produit d’un long combat des travailleurs pour faire valoir leurs droits face à un patronat aux intérêts fort différents. Il est toutefois menacé par les visées d’étatisation de la Sécu. À la recherche d’économies drastiques sur les dépenses publiques, l’État s’immisce de plus en plus et montre une volonté récurrente de ponction de ressources provenant en premier lieu du salaire différé, donc de nos cotisations sociales qu’il tente de remplacer par l’impôt (CSG/CRDS). Or les cotisations sociales ont une affectation dédiée précise, contrairement à l’impôt soumis aux décisions politiques. De même, les exonérations des cotisations employeurs (qui se comptent en milliards d’euros par an) mettent à mal les comptes sociaux et génèrent le « trou » artificiel de la Sécu.
FO défend le paritarisme, cet acteur crucial pour la cohésion et la justice sociales, pour l’exercice de la démocratie sociale dans la République.