Interview La Tribune du dimanche : Frédéric Souillot « Faire 40 milliards d’euros d’économie, c’est complètement irréaliste »
Interview avec Fanny Guinochet / La Tribune du dimanche : Frédéric Souillot, s’oppose à la TVA sociale et à toute baisse de revenus des retraités. Pour faire des économies, il préconise une baisse des niches et des allègements fiscaux accordés aux entreprises.
LA TRIBUNE DIMANCHE (LTD) : Le gouvernement appelle à faire 40 milliards d’euros d’économie…
FRÉDÉRIC SOUILLOT : C’est complètement irréaliste d’imaginer faire 40 milliards d’euros d’économie l’an prochain. C’est de la communication, rien de plus. Il promet des efforts pour tous, ce qui signifie que l’on va mettre à contribution le plus grand nombre, notamment les travailleurs. Cela va se traduire par des déremboursements de médicaments, l’ajout de jours de carence, des abattements fiscaux que l’on supprime, comme les 10 % pour les retraités. Mais que l’on fiche la paix aux retraités ! Cet abattement vise à compenser la baisse de revenus quand ils cessent leur activité. Mais cette baisse existe toujours.
LTD : En même temps, il faut bien faire des économies alors que la Cour des comptes pointe par exemple un dérapage incontrôlé du budget de la Sécurité sociale…
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Mais c’est l’État qui contrôle la Sécu ! C’est incroyable d’en arriver à un tel niveau de déficit alors qu’il a instauré énormément d’exonérations de charges patronales. Malgré ça, le déficit est hors de contrôle… L’État, dans la gestion, ce n’est pas une bonne idée. Je rappelle que la Sécurité sociale était à l’équilibre quand les partenaires sociaux la géraient. Nous sommes capables de gérer paritairement, nous en avons fait la démonstration sur Action Logement, mais aussi pour les retraites complémentaires Agirc-Arrco. Nous savons prendre des décisions pour assurer le financement des régimes. Qu’on nous redonne la main sur toute la gestion de la Sécurité sociale !
LTD :Justement, François Bayrou laisse entendre que les partenaires sociaux pourraient reprendre la main…
FRÉDÉRIC SOUILLOT : L’idée que l’on discute et se projette dans les années à venir est bonne. Mais, attention, je dis au Premier ministre qu’il faut, en préalable, que l’État règle la facture du « quoi qu’il en coûte ». Car ce n’est pas aux travailleurs de la payer. Sinon, la manœuvre consistera à nous repasser la patate chaude. Et là, je dis non.
LTD : La Sécurité sociale était à l’équilibre quand les partenaires sociaux la géraient. Irez-vous à la conférence de financement sur la protection sociale que propose Emmanuel Macron ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Organiser une énième conférence sociale qui ne débouche sur rien de concret, ce n’est pas la peine. Je souhaite même qu’il n’y en ait pas. Encore une fois, c’est de la com du président de la République. En revanche, je demande au gouvernement qu’il mette autour de la table les partenaires sociaux et qu’il lance une véritable négociation.
LTD : Une des solutions pour trouver de l’argent est d’instaurer une TVA sociale. Qu’en pensez-vous ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Un impôt sur la consommation, c’est le prélèvement le plus injuste qui existe ! On ne te demande pas ton bulletin de salaire quand tu passes à la caisse. Une TVA à quel niveau ? Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement agite le chiffon de la TVA sociale. Stop au concours Lépine de toutes les mauvaises idées pour trouver de l’argent !
LTD : Où faire des économies, alors ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Que le gouvernement s’intéresse aux aides publiques et aux niches fiscales, qui représentent plus de 200 milliards d’euros par an. J’évoquais les allègements généraux sur les cotisations sociales, qui pèsent à eux seuls près de 80 milliards d’euros. On nous dit que c’est pour inciter les embauches, mais à quoi bon alléger des salaires à 1,6 Smic ?
Si on prend les informaticiens, par exemple, les entreprises se les arrachent. On n’a pas besoin d’alléger les cotisations sur ces rémunérations. Si on baissait les allègements de 1,6 Smic, à 1,4 Smic, on ferait entrer 12 milliards d’euros directement dans les caisses.
LTD : Partagez-vous le diagnostic de la CGT qui comptabilise 400 plans sociaux cette année, soit trois fois plus qu’il y a un an ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Oui, il y a des difficultés, notamment dans l’industrie. C’est d’autant plus grave dans ce secteur que pour un poste il y a trois ou quatre emplois induits. Les grands groupes annoncent des plans sociaux et, dans la foulée, les PME, les sous-traitants se retrouvent entre l’arbre et l’écorce ! Mais j’observe aussi des discussions, des négociations entre syndicats et employeurs dans ces entreprises quand la situation est tendue.
C’est pour ça que je tiens au Conseil national de l’industrie. Ça permet de prendre de la hauteur sur les filières, de préserver les emplois, d’offrir des parcours de reconversion. Il faut que l’État s’engage. Nous l’avions fait après la crise de 2008, les comités de filière mis en place avaient été utiles. Je constate que la crainte de perdre son job est redevenue la première préoccupation des salariés après le pouvoir d’achat.
LTD : Les taxis sont en colère, les agriculteurs aussi… Sentez-vous le mécontentement monter ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Chez les travailleurs, la colère est là, sourde. Les travailleurs en ont marre d’être toujours désignés comme ceux qui ne travaillent pas assez, qui coûtent trop cher, qui profitent du système. Ceux à qui on demande toujours plus d’efforts.
LTD : Vous aussi, vous trouvez que le financement de la protection sociale pèse trop sur le travail ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Non, notre protection sociale collective a été construite sur le travail. Mais je le redis : ce qui perturbe le système et creuse les déficits, c’est l’instauration d’allègements en 1993. On nous explique que c’est pour que la France soit plus attractive. Mais a-t elle besoin de ça ?
À l’occasion de Choose France, le président de la République a lui-même assuré que notre pays était plus attractif que ses voisins. Ce n’est donc pas le coût du travail qui pèse.
LTD : Vous avez quitté le conclave sur les retraites. Vous ne regrettez pas ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Absolument pas. Au contraire. Ce conclave n’avancera pas, car la CFDT et le Medef se jaugent. Au mieux, il y aura un relevé de décision, rien de plus.
LTD : Vous pensez qu’il est impossible de négocier en ce moment ?
FRÉDÉRIC SOUILLOT : Non, je ne dis pas ça. Je constate simplement que lorsque l’on nous laisse négocier, sans que l’État s’en mêle, nous obtenons des résultats. Regardez sur le partage de la valeur en entreprise, sur l’emploi des seniors, nous avons réussi à trouver des accords qui apportent des solutions. En revanche, dès que l’État intervient, ça ne fonctionne pas. Les mariages à trois, ça ne marche pas.