C&A : après huit PSE, la direction plus opaque que jamais

Face aux fermetures successives de magasins, les salariés du centre logistique de la marque se sentent sur la sellette. Mais leur hiérarchie refuse de se montrer transparente avec eux. Alors que le PSE annoncé en mars 2025 est en cours d’exécution, les soupçons de délocalisation de la logistique à l’étranger sont de plus en plus forts.
La marque de prêt-à-porter C&A va-t-elle connaître son neuvième plan social en huit ans ? C’est la question à laquelle les salariés du site logistique de Seine-et-Marne tentent vainement d’obtenir une réponse depuis plusieurs mois. À de multiples reprises, la déléguée syndicale FO, Maria Rodrigues, a interpellé la direction à ce sujet. En réunion du CSE fin octobre, sa hiérarchie a une fois de plus choisi la rétention d’informations. Quand je demande quelle sera la pérennité du centre logistique, on me dit que la décision n’a pas été prise à notre égard
, rapporte-t-elle.
De forts soupçons pèsent cependant sur les intentions de la direction de C&A. Cet entrepôt, choisi en 2015 pour établir le site, a la capacité de livrer 200 magasins. À l’époque, on avait 176 magasins et on était en expansion
, précise Maria Rodrigues. Sauf que dix ans et huit PSE plus tard, il ne reste aujourd’hui dans le parc C&A que 100 magasins, dont 24 appelés à fermer prochainement. Le dernier plan social, annoncé en mars 2025, a en effet acté la fermeture de ces 24 boutiques ainsi que de l’ensemble des « corners » jusqu’alors déployés dans les grandes surfaces d’Intermarché, Carrefour et Auchan – décision appelée à coûter leur emploi à 324 personnes dans les mois qui viennent.
Un débrayage très suivi
Une expertise montre qu’il y a en effet énormément de coûts par rapport à cet entrepôt, explique Carole Prioult, chargée de mission Commerce et VRP à la Fédération FO des employés et cadres (FEC-FO). Les salariés ont moins de travail, les cellules commerciales sont de moins en moins occupées.
Elle dénonce toutefois une stratégie de scénarisation par l’émotion
de la part des dirigeants. Ils nous disent que s’ils gardent cet entrepôt, c’est tout C&A France qui devra fermer. On fait paniquer les gens avec des phrases toutes faites et de la dramatisation, mais sans aucun fondement.
Si la situation n’est pas aussi alarmante que la direction voudrait le faire croire aux salariés, une réduction de la surface du centre logistique pourrait logiquement s’imposer. Problème : C&A ne donne aucun signe d’être à la recherche d’un local plus modeste. Le 3 octobre, les salariés du site ont organisé un débrayage pour demander la fin de cette incertitude pesante, ainsi qu’une amélioration de leurs conditions de travail, nettement dégradées. 85% des salariés étaient en débrayage, alors que la direction disait aux représentants syndicaux qu’on exagérait, que l’on ne rapportait que notre vision des choses
, raconte Maria Rodrigues.
Des craintes de délocalisation en Espagne
Malgré cette mobilisation importante, la hiérarchie continue de se murer dans le silence. Il y a un certain mépris des directeurs français, déplore Carole Prioult. Dire
D’autant plus que la date couperet se rapproche, et les salariés le savent bien : on imagine toutes les pistes possibles
, ce serait au moins franc du collier.Le bail du bâtiment va jusqu’en mars 2027, sachant qu’à cette date on doit rendre le site vide
, souligne Maria Rodrigues. Au vu de l’ampleur du déménagement à prévoir, on devrait savoir quelque chose début 2026
, anticipe Carole Prioult.
Malgré le manque total de transparence de la direction de C&A, les militantes FO ont leurs propres hypothèses. Ils peuvent chercher à faire faire le travail par un prestataire, ou faire livrer le peu de magasins qui resteront depuis l’Espagne ou l’Allemagne
, expose Maria Rodrigues. Mais le calcul n’est peut-être pas si évident, avertit Carole Prioult : Entre les coûts de transport et de douane, il est probable que ça leur coûte plus cher que ce qu’ils prévoient. S’ils présentent un tel projet, FO y sera vigilant.
D’ici là, le choix de C&A semble empreint d’un certain cynisme. Ça arrive très souvent qu’il n’y ait pas de réponse quand la réponse est évidente, affirme Carole Prioult. La direction se dit que si elle informe trop vite les gens, elle court le risque de mouvements sociaux non contrôlés, de voir les salariés démotivés.
Éviter de faire scandale
Difficile de comprendre, à première vue, pourquoi C&A n’a pas intégré ces questions de logistique dans le dernier plan social de mars 2025. Pour Carole Prioult, les mini-PSE, ça fait moins scandale que les gros. Camaïeu, Jennyfer, Go Sport ont beaucoup fait parler d’eux, et C&A ne veut pas de ça
.
Mais le flou est particulièrement difficile à subir pour les salariés concernés. Les anciens, qui ont 20 ou 30 ans de maison, le vivent très mal car on nous laisse un peu pourrir. On dirait qu’ils attendent qu’on en ait marre et qu’on parte de nous-mêmes
, regrette Maria Rodrigues.
Selon la déléguée syndicale, l’ambiance est si délétère que le management est devenu toxique au sein du centre logistique. Sans excuser certaines pratiques, Carole Prioult rappelle qu’il est probable que les managers ne sachent pas non plus où ils vont, soient donc soumis aux mêmes risques psychosociaux et réagissent comme ils peuvent
. Elle dénonce en tout cas un abandon des gens de l’entrepôt
de la part de la direction.
Au-delà même du sort des employés de la logistique, des questions se posent sur le pilotage à moyen terme de l’entreprise pour les quelque 1 200 salariés qui travailleront encore chez C&A à l’issue du PSE annoncé en mars. Beaucoup d’entreprises françaises commettent la même erreur : elles pensent
Une tactique qui fait courir les marques à l’échec, dans un milieu du prêt-à-porter en crise structurelle. réorganisation
avant stratégie
, pointe Carole Prioult. On a le réflexe de d’abord réduire les coûts, avant de se demander quelle vision on a pour la marque à 3, 5 ou 10 ans.C’est la stratégie qui fait gagner du chiffre d’affaires, poursuit-elle. Au lieu de tout couper, qu’ils aillent chercher l’argent !
