Les périodes de CP doivent désormais être prises en compte pour le calcul des heures supplémentaires
Dans ses arrêts en date du 13 septembre 2023 (n°22-17340 à n°22-17342, n°22-17638, n°22-10529 et n°22-11106), la Cour de cassation avait jugé que toutes les périodes d’arrêt de travail pour accident ou maladie, professionnel ou non, devaient être assimilés à du temps de travail effectif, cette assimilation ne valant toutefois que pour la détermination de la durée des congés payés (CP).
Il est toujours admis, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, que ces périodes de maladie non professionnelle ne sont pas assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul de l’ancienneté (Cass. soc., 28-9-22, n°20-18218). Selon l’article L 1226-7 du code du travail, les périodes d’accident de travail et de maladie professionnelle sont, quant à elles, prises en compte pour la détermination de tous les avantages légaux ou conventionnels liés à l’ancienneté dans l’entreprise (ex : durée du préavis ou montant de l’indemnité de licenciement).
Également, il était admis, par la Cour de cassation, que les périodes de congés payés acquis (via la maladie ou un temps de travail effectif) ou les jours d’absence (notamment pour maladie) n’avaient pas lieu d’être assimilés à du temps de travail effectif pour le calcul des heures supplémentaires (Cass. soc., 18-12-19, n°19-13159).
Quant à la CJUE, elle avait jugé récemment, aux visas de la Charte (art. 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE sur le droit au repos) et de la Directive « q> temps de travail 2003/88/CE, qu’une convention collective excluant le congé annuel payé pour déterminer le droit à majoration pour heures supplémentaires, devait être jugée incompatible avec le droit de l’Union en ce sens qu’elle pouvait s’avérer dissuasive de l’exercice du droit à congés compte tenu d’un désavantage financier (CJUE, 7e ch., 13-1-22, n°C-514/20, Koch Personaldienstleistungen).
Jusqu’ici, la Cour de cassation adoptait une position contraire (Cass. soc., 4-4-12, n°10-10701). Beaucoup d’auteurs s’accordaient pour dire que, lorsque la Cour de cassation serait saisie de nouveau de cette question, celle-ci se conformerait à la position communautaire.
Dans une décision en date du 10 septembre 2025, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la question de savoir si le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires devait prendre en compte les jours de congés payés ?
Sans réelle surprise au regard de la position du juge communautaire, la Cour de cassation s’aligne sur le droit européen (certaines entreprises appliquant déjà ce principe) :
Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, 6 novembre Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16), la Cour de justice a jugé qu’en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice précise que cette obligation s’impose à la juridiction nationale en vertu de ces deux dispositions lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d’autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
(Cass. soc., 10-9-25, n°23-14455, PBR).
Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.
Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine
Désormais, le salarié (dans l’arrêt du 10 septembre 2025, il s’agissait d’un salarié sous le régime du forfait en heures) soumis à un décompte hebdomadaire de sa durée de travail peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires sur la semaine au cours de laquelle il a posé un jour de congé payé (que celui-ci soit a priori un CP légal ou un CP conventionnel) et n’a donc pas réalisé 35 heures de travail effectif
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Cette décision va bouleverser les pratiques RH dans les entreprises qui n’avaient pas encore anticipé cette évolution prévisible du droit français au regard du droit communautaire (pour certaines entreprises uniquement par idéologie). De nombreuses conventions collectives et accords d’entreprise vont devoir être renégociés sur ce point précis.