Organisations internationales : Quand le BIT envisage la délocalisation

Au cœur de la 113e session de la Conférence internationale du travail, les employés du BIT ont appris, entre autres mesures, que leurs postes pourraient être délocalisés afin de réaliser des économies, en lien avec la baisse des contributions volontaires américaines et un budget qui stagne. Pris de cours, le syndicat du personnel se mobilise néanmoins pour éviter le pire.

Le Bureau international du travail (BIT, secrétariat permanent de l’Organisation internationale du travail) envisage de réinstaller au moins 25 % de ses effectifs actuellement en poste à Genève dans les « régions » (l’OIT est organisée en cinq bureaux régionaux : Afrique, États arabes, Amérique latine et Caraïbes, Asie et Pacifique, Europe et Asie Centrale). Et certains des bureaux régionaux pourraient aussi être déplacés à l’intérieur de leur région pour réaliser des économies.

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe parmi les personnels du BIT, lorsqu’elle a été révélée via la publication d’un document décrivant dans les grandes lignes la première série de mesures de réforme instituées par le Bureau international du travail pour améliorer l’efficacité et l’efficience de son fonctionnement. La réforme est motivée par le retrait des contributions volontaires du gouvernement américain. Elle trouve sa confirmation par l’adoption d’un budget 2026/2027 identique à celui du cycle précédent (ce qui représente une diminution, compte-tenu de l’inflation).

Risque de perte d’expérience et d’expertise

L’expertise du BIT est effectivement très concentrée à Genève, observe Séverine Deboos, présidente du comité du Syndicat du personnel de l’OIT. Mais peut-on déplacer des salariés comme cela ? S’ils partent dans un autre pays, leur contrat devra être requalifié en contrat international, ce qui représente un changement de statut. Même si la rémunération est moindre dans une autre région, compte-tenu du coût de la vie, il y aura des frais afférents. Si les fonctionnaires ne veulent ou ne peuvent se délocaliser, alors l’organisation pourra peut-être recruter localement mais elle perdra des agents d’expérience et d’expertise. C’est une stratégie peu compréhensible. Aucune étude chiffrée permettant d’évaluer l’économie réalisée n’a par ailleurs été produite à l’appui du document.

Outre la réinstallation du personnel, il est aussi question d’une optimisation de l’utilisation des locaux du siège afin de mettre en location certains étages ainsi libérés, d’examiner les processus opérationnels pour traquer les plus coûteux, de réviser la politique des voyages ainsi que de recourir à la technologie notamment en matière de traduction et d’interprétation, de réduire le nombre de postes de direction grâce à la fusion de services, départements ou unités, de rédéfinir les profils de certains postes vacants à un grade inférieur.

Aucun respect du processus de négociation collective

Outre les mesures présentées, c’est également la méthode qui a choqué. D’ordinaire de tels documents nous sont communiqués deux semaines avant d’être publiés, souligne Séverine Deboos. Là, nous n’avons pas eu le temps d’y réfléchir. Et dans ce document rien n’indique que certains sujets pourront être négociés. Il n’y a vraiment eu aucun respect du processus de négociation collective.

Pourtant, le syndicat – qui rassemble 70 % des 3600 salariés du BIT – se mobilise depuis des mois pour tenter d’accompagner les quelques 250 personnels licenciés de par le monde en raison de l’arrêt soudain de projets jusqu’alors financés par les contributions volontaires américaines (lire notre précédent article : Agences des Nations Unies : des pertes douloureuses de financement). Organisation de permanences avec les services de ressources humaines, négociations autour de solutions équitables pour les salariés licenciés, mise en place d’un fond d’assistance permettant de couvrir les cotisations de sécurité sociale, le syndicat n’a pas ménagé ses efforts. Il s’est même engagé dans le processus de révision du fonctionnement du Bureau, pour lequel on lui avait demandé de formuler des propositions à l’échéance de novembre 2025.

Sensibiliser les délégations à la situation des personnels

Pris au dépourvu à la lecture du document, le syndicat a donc sollicité une intervention exceptionnelle en ouverture du conseil d’administration, au cours de laquelle Séverine Deboos a tenu à rappeler que ce document, et les propositions de mesures qu’il contient, n’est pas le résultat de consultations ni d’un processus de dialogue social avec le Syndicat du personnel. Le syndicat a également pu installer un stand au Palais des nations pendant la Conférence internationale du travail de juin pour sensibiliser les représentants des pays membres à la situation des personnels. Beaucoup de membres de délégations viennent ici pour la première fois et ne connaissent pas précisément notre statut, rappelle Séverine Deboos.

Aucune décision officielle ne devrait être prise avant la prochaine réunion du conseil d’administration, prévue en novembre 2025. Ce qui a permis à la présidente du syndicat de conclure : J’espère qu’alors, nous pourrons ensemble être fiers et constater sereinement que ce principe fondateur – le dialogue social – n’est finalement pas réduit en cendres, mais qu’il aura permis au contraire à notre Organisation de définir des mesures qui nous permettront de sortir de cette crise plus résiliente, plus forte et plus efficace.

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