Augmentation des tâches ou des cadences de travail : que peut faire le salarié ?

Si un employeur ne peut modifier un élément du contrat de travail, comme la durée du travail, sans recueillir préalablement l’accord du salarié, celui-ci peut ajouter unilatéralement de nouvelles tâches de travail correspondant aux fonctions et à la qualification d’un salarié. Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut changer les conditions de travail d’un salarié et la circonstance que la nouvelle tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu’il exécutait antérieurement, dès l’instant qu’elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail (Cass. soc., 25-1-23, n°21-18141).

En principe, le refus du salarié de se voir appliquer un changement des conditions de travail est un motif réel et sérieux de licenciement. Dans certaines circonstances, il peut même justifier un licenciement pour faute grave.

En revanche, si le salarié démontre que la décision de l’employeur a été prise pour une raison étrangère à l’intérêt de l’entreprise ou qu’elle a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle, celui-ci peut s’opposer à cette modification des conditions de travail (Cass. soc., 23-2-05, n°03-42018).

Tel est le cas par exemple, si le changement des conditions de travail vise à nuire au salarié (Cass. soc., 12-3-02, n°99-46034 : condamnation de l’employeur pour avoir modifier les horaires de travail d’une salariée divorcée avec charge d’enfants sans que ce changement soit nécessaire), repose en réalité sur un motif discriminatoire (Cass. soc., 6-6-90, n°88-42242) ou lorsque le salarié n’a pas été informé préalablement, dans un délai raisonnable, du changement des conditions de travail. Dans de telles hypothèses, le salarié peut s’y opposer.

Le salarié peut également refuser un changement de ses conditions de travail lorsqu’il démontre que ce changement porte une atteinte excessive à sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos (Cass. soc., 3-11-11, n°10-14702).

Sauf accord contraire des parties ou dispositions conventionnelles particulières (ex : nouvelles tâches entrainant un changement d’échelon dans la convention collective), le salarié ne peut prétendre à une augmentation de salaire en cas de nouvelles tâches s’ajoutant aux anciennes.

Par exemple, une promotion n’entraîne pas d’office une augmentation de salaire. Dès lors que le salarié a expressément accepté la modification de son contrat de travail et que sa rémunération est supérieure au minimum conventionnel, l’augmentation des fonctions et des responsabilités d’un salarié non assortie d’une augmentation de sa rémunération ne caractérise pas un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles (Cass. soc., 5-5-21, n°19-22209).

En cas de modification ou d’ajout de tâches de travail, il faut veiller à ce que cette modification ou cet ajout n’entraine pas une augmentation excessive des cadences de travail, l’employeur étant tenu, en la matière, de veiller à protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

Le CSE, s’il existe dans l’entreprise, doit être informé et consulté sur certaines questions concernant les conditions de travail, la santé et la sécurité des salariés de l’entreprise. En effet, le CSE doit être consulté, en cas de modifications importantes des conditions de travail (art. L 2312-8 du code du travail).

L’importance du projet s’apprécie au regard du nombre de salariés impactés et de la portée concrète sur les conditions de travail. Cette notion de projet important englobe toute décision entraînant une transformation importante des postes de travail tels qu’une modification des outils de production, un changement de produits ou de services, une modification en profondeur de l’organisation du travail, un changement notable des cadences de travail ou des critères de productivité.

Selon l’article L 2315-94 du code du travail : Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° du II de l’article L 2312-8.

Il résulte de ce texte qu’il n’existe pas un droit général à l’expertise légale (Cass. soc., 14-12-22, n°21-22426). En effet, le CSE ne peut recourir à un expert habilité que dans deux cas : d’une part, lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement (cette expertise est à la charge de l’employeur) et d’autre part, en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (cette expertise est co-financée à hauteur de 80% par l’employeur et 20% par le CSE sur son budget de fonctionnement).

Le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l’importance du projet. C’est avant tout en termes qualitatifs qu’est appréciée l’importance du projet. L’analyse de la jurisprudence permet de dégager un raisonnement en deux temps. Le premier temps porte sur l’objet du projet qui doit apporter des transformations au sein de l’entreprise : une simple évolution et une réorganisation de l’existant ne caractérisent pas un projet important. Dans un second temps, l’importance porte sur les effets du projet. Celui-ci doit être de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail, plus précisément avoir des répercussions importantes sur les conditions de travail des salariés en termes d’horaires, de tâches et de charge de travail et de moyens mis à leur disposition mais également de carrière et de formation. Un projet peut être aussi qualifié d’important en raison de son impact sur la santé ou la sécurité.

Dans une décision en date du 9 avril 2025, la Cour de cassation a considéré que le réajustement des horaires de travail résultant d’une nouvelle organisation entraînant possiblement une dégradation des conditions de travail des salariés concernés et conduisant à une réduction du nombre de jours non-travaillés, justifie le recours à une expertise du CHSCT (Cass. soc., 9-4-25, n°23-21703). En l’espèce, le projet de réajustement, lequel visait tous les postiers de l’établissement concerné, modifiait de façon significative leurs conditions de travail par une augmentation du nombre de jours travaillés, modification susceptible d’avoir des répercussions sur leur santé physique et mentale. Le juge avait pu ainsi en déduire l’existence d’un projet important justifiant le recours à une expertise du CHSCT. Cette solution rendue à propos du CHSCT est transposable au CSE.

En tout état de cause, le CSE peut avoir recours à une expertise libre dont il doit supporter totalement le coût (article L.2315-81 du code du travail : Par dérogation aux articles L 2315-78 et L 2315-80, le comité social et économique peut faire appel à tout type d’expertise rémunérée par ses soins pour la préparation de ses travaux).

Le régime juridique de l’expertise libre est encore incertain ; il est toutefois clair que cet expert ne dispose pas d’un accès libre à l’entreprise. Certaines Cours d’appel considèrent que l’expert libre ne peut avoir accès qu’aux seuls documents détenus par le CSE, sous réserve que l’employeur accepte de lui communiquer des documents complémentaires (CA Caen, 11-4-23, n°22/01120). Selon la Cour d’appel de Versailles, le recours à l’expertise libre permettrait d’allonger le délai de consultation du CSE à deux mois (CA Versailles, 11-5-23, n°23/00226). L’employeur peut toujours contester l’expertise libre s’il considère qu’elle a été décidée dans un but dilatoire afin de voir le délai de consultation prolongé, à charge pour lui d’en rapporter la preuve.

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