211 milliards d’euros d’aides publiques aux grandes entreprises : le Sénat prône d’en durcir l’octroi
Les aides publiques aux grandes entreprises ont atteint au bas mot 211 milliards d’euros en 2023, selon un récent rapport de la commission d’enquête du Sénat. Appelant à plus de transparence concernant les données chiffrées relatives à ces aides, les sénateurs plaident aussi pour une responsabilisation des entreprises, notamment en demandant qu’elles remboursent certaines aides, notamment en cas de délocalisation.
Sortie avant les annonces du Premier ministre, le 15 juillet, sur les pistes budgétaires envisagées par le gouvernement, une enquête salutaire, qui vient renforcer les revendications de FO. Rendu public le 8 juillet, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, souligne le caractère vertigineux des aides publiques aux entreprises. Dans leur totalité, donc regroupant des éléments de natures diverses, elles ont atteint 211 milliards d’euros en 2023. Pour son travail, la commission d’enquête a eu recours entre autres à des économistes, faute de statistiques fiables : le gouvernement n’a pas été en mesure d’actualiser l’estimation de France stratégie de 2020
déplore-t-elle. Parmi ces 211 milliards d’euros, les dépenses fiscales (dont crédits d’impôts) représentaient un manque à gagner de 88 milliards d’euros pour les comptes publics, les allègements de cotisations sociales 75 milliards d’euros en 2023, a calculé la commission. Si toutes ces aides sont encadrées, il n’y a aucune définition transversale
regrettent les sénateurs. La commission a recensé pas moins de 2267 dispositifs d’aide directe ou indirecte, relevant de l’État, des organismes de sécurités sécurité sociale, des collectivités territoriales ou de l’Union européenne. Et l’ensemble manque singulièrement d’évaluation de la part des pouvoirs publics, constate le rapport.
Plus de transparence et de rationalisation des aides
La commission d’enquête appelle donc à un choc de transparence
de la part des pouvoirs publics. Face à l’absence d’informations, elle demande à l’Insee de créer d’ici deux ans un tableau détaillé et actualisé sur les aides aux entreprises, en fonction de leur taille. Elle souhaite aussi que le Haut-commissariat à la stratégie et au plan publie chaque année un rapport sur le suivi des aides versées aux entreprises, qui sera présenté aux parlementaires, aux chefs d’entreprises et aux représentants syndicaux
. Dans les entreprises où il n’existe pas d’accord sur les modalités de consultations récurrentes des élus, les informations sur les réductions d’impôts, les exonérations de cotisations sociales devraient aussi transmises aux CSE, préconise le rapport. Au niveau de l’État, la commission recommande de formaliser une doctrine de recours aux aides aux entreprises en fixant des critères de choix
, et de rationnaliser ces aides, en divisant par trois le nombre de dépenses fiscales et de subventions aux entreprises d’ici 2030
.
Responsabilisation des entreprises : un début de contraintes
Alors que les PSE augmentent, la question d’une conditionnalité des aides publiques aux entreprises a été analysée par la commission d’enquête sénatoriale. Elle a auditionné 33 dirigeants d’entreprise, notamment ceux d’Auchan ou de Michelin qui ont annoncé des plans sociaux massifs en 2024. Ces PSE choquent l’opinion, surtout quand les entreprises ont perçu des aides publiques et versent simultanément des dividendes
souligne le rapport. Michelin qui a activé un PSE de 1254 salariés en France en novembre 2024 est un exemple. Ainsi, en 2023, les exonérations de cotisations sociales accordées au groupe représentaient 32,4 millions d’euros. En 2024, le crédit impôt recherche (CIR) représentait pour lui un cadeau fiscal de 40,4 millions d’euros. La même année, Michelin a versé environ 1,4 milliard d’euros de dividendes, illustre la commission. Dans sa recommandation n°22, portant sur le groupe, le rapport prône Pour des raisons d’exemplarité, (il faut, Ndlr) inviter le groupe Michelin à rembourser la part de CICE perçue pour l’achat de six machines qui n’ont jamais été utilisées sur le site de la Roche-sur-Yon fermé en 2020 et qui ont été transférées dans d’autres établissements en Europe
.
Bien que préoccupés par ces dérives, les sénateurs ne forment pas la demande d’un conditionnement des aides au maintien en emploi, revendiqué par FO. Par ailleurs, le rapport, dans sa recommandation n°21 préconise d’ exclure les aides publiques du périmètre du résultat distribuable
mais à l’exception des exonérations et allègements de cotisations sociales
. Une conditionnalité des exonérations de cotisations reste à approfondir, estime toutefois la commission qui appelle à poursuivre la réflexion sur l’efficacité des allègements de cotisations sociales, par secteur d’activités
.
La commission pose cependant, les premiers jalons d’un durcissement des attributions d’aides aux entreprises. Elle propose ainsi d’interdire l’octroi d’aides publiques et d’imposer leur remboursement aux entreprises condamnées de manière définitive pour infraction grave, ou qui ne publient pas leurs comptes
, ou encore elle prône d’imposer le remboursement d’une aide de l’État ou des collectivités si l’entreprise délocalise un site ou une activité ayant justifié l’aide dans les deux années suivantes
. Autre recommandation parmi les vingt-six établies par le rapport : Rationaliser les aides publiques aux entreprises en divisant par trois le nombre de dépenses fiscales et de subventions budgétaires aux entreprises d’ici 2030
.
Toutes ces pistes ont été, à cette heure, écartées par le Premier ministre lors des annonces qu’il a faites, le 15 juillet, dans un Moment de vérité
. S’il a cité le rapport de la commission d’enquête, il n’a rien retenu des propositions qu’il contenait. L’effort
demandé aux Français ne semble pas être partagé entre tous, encore moins entre les travailleurs et les entreprises, toujours préservées.